Martin Miguel
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2008 "Pour Martin Miguel" (Yves Ughes)

Lorsque Martin Miguel m’a proposé la première fois de travailler avec lui, j’ai connu comme un choc. Il me proposait d’intervenir sur des travaux qu’avaient suscités mon premier livre, Décapole. Je n’avais jamais pensé que mon texte fût de nature à susciter des œuvres plastiques.
J’étais déjà entré dans son œuvre, qui me semblait troublante et forte par sa continuité et sa diversité. Chez lui l’encadrement de l’œuvre devient fenêtre, mais brisée, laissant entrevoir le volume de ce contenu qui pousse et demande débordements et dépassements. Les matériaux viennent du monde, mais connaissent une action de transformation, de transfiguration. Le béton travaille en épaisseur mais présente parallèlement une surface lisse, pleine au toucher. Par ces veinules il nous offre des raisons imprévus d’espérer.
Les couleurs, noir compris, ne sont pas décoratives, par leur effet de forage, elles nous conduisent au cœur de la matière, là où des cellules granuleuses fermentent, comme signe des origines.
Je voyais dans l’action de cette suie qui troue la surface lisse un écho visuel à l’un de mes paysages fondateurs, l’arche de Ponadieu, le calcaire troué par les siècles et l’eau.
C’est en cultivant cet écho que j’ai travaillé sur les trois formes offertes par Martin : sur des feuilles enduites de lin et de suie captive s’étendait une silhouette d’insecte rampant qui me renvoyait à ces égouts qui traversent ma vision de la ville ; s’y ajoutait une sorte d’ange, devenant icône quand la feuille est tendue sur la lumière jour, enfin un mouvement de passage sorte de fusion des données contradictoires. Passage de la vie. Ainsi est né Epaisseurs.

Avec En tête, la connivence s’est établie à partir d’un autre lieu de rencontre : l’identité. Une photo semble être le reflet évident d’une personnalité. Photo d’identité. Ici, quatre portraits Michel Butor, Raphaël Monticelli, Alain Freixe et moi-même. Mais les reflets du réel ne sauraient parler s’ils ne sont pas travaillés. Et les photographies se voient éclatées, dans des déchirures, des reliefs lacérés presque ; surgissent ainsi des angles différents d’approche : là c’est l’œil qui accroche, ici la position des mains, plus loin une barbe entraperçue. Pirandello, l’un de mes lectures favorites, a donné pour titre à l’un de ses romans : Uno, nessuno e centomilla. Nous sommes bien , un, personne et cent mille, ce que nous donne à voir Martin Miguel avec ce travail de creusement et d’éclatement. Le tout accompli sous les rondeurs aimable et ambrée de la cire, qui vient se fixer de ci de là, comme pour souligner une fécondité émergente.

Travailler sur ces œuvres, mettre des mots sur ces portraits amis m’a semblé dans un premier temps paralysant. Peut-on intervenir sans détruire le frère en écriture représenté, sans un frisson iconoclaste ? Comme la liberté la plus totale nous était donnée par Martin Miguel, j’ai tenté d’écrire à partir des choses vues, entendues, données et des choses lues. Ajoutant ainsi mon mélange aux mélanges plastiques. Avec un texte unique, présentant un dernier vers toujours inédit. Application pauvre d’un principe venu de Queneau, le vers rotatif. Et j’ai occupé l’espace dans le désordre de la fête, écrivant sur les fronts, comme maquillant des visages pour mieux les révéler. Mon stylo s’est amusé à serrer des mains amies.

Dans ce monde fait de colonnes qui s’élèvent mais déjà creusées, de bétons qui rencontrent des bois en support, nous sommes bien peuples nomades, esprits errants, survivant grâce à la rencontre qui s’opère entre les mots et la matière.

Pour Martin Miguel,
Ce 5 janvier 08

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