MIGUEL
Bâtir sur le sable
PCA hebdo du 20-12 au 26-12-2002
Les oeuvres récentes de Miguel ont été réalisées selon une méthode simple, où intervient, comme toujours chez lui, la notion de bâti. Le peintre, comme il l’explique lui même ; « installe sur une table - un plateau lisse et verni - quelques chevrons de bois de 4 à 5 cm de section en un arrangement géométrique fermé (carré, triangle ou rectangle) ». Il dépose dans ce bâti un tas de sable auquel il donne la forme approximative du retrait qu’il souhaite obtenir. Le sable est ensuite recouvert d’un mélange de suie, d’huile de lin et de siccatif. Le peintre verse du ciment autour du tas ainsi préparé, et le laisse prendre. Il décoffrera plus tard la pièce obtenue ; un lavage achèvera d’éliminer le sable, dont le ciment solidifié conserve en creux l’empreinte, enduite du mélange que la suie teinte de noir.
L’œuvre a donc été construite, c’est-à-dire qu’elle ne dépend d’aucun support ni matériel spécifique préexistant (comme la toile ou les pigments), mais qu’elle résulte des potentialités chimiques, et physiques des substances utilisées. Si cet aspect constructif caractérise depuis longtemps les recherches de Miguel, l’exposition de Vallauris n’en marque pas moins une étape nouvelle, où disparaissent le bois (sauf exception de telle pièce où des copeaux remplacent la suie) et la polychromie - mais le noir contient, chimiquement parlant, toutes Ies couleurs du prisme, et l’action du bois (auquel renvoie aussi la notion de combustion) reste sensible dans la structure d’ensemble de la pièce.
Ce qui était d’abord vide, dans le bâti préparé à recevoir le ciment, est devenu le plein, ce bloc que l’on expose. Ce qui, dans
.cette masse, grise fait signe ,est la trace vide, en quelque sorte le négatif, de ce que le peintre avait d’abord modelé, et dont il ne reste rien d’autre que l’évidence du retrait.
Le signe (que l’alignement des oeuvres invite à considérer comme élément d’une écriture), la lettre est une érosion, une perte. Comme chez Platon, dans le « Phèdre », l’écriture est la perte, la mise à mort, de la parole vive. Souligné de suie, le signe marque la béance où s’est engloutie la parole refusée à la substance la plus fragile. « Le mou et le dur, écrit Miguel, sont deux moments des matériaux utilisés. Les temps de passage d’un état à l’autre sont différents d’un matériau à l’autre et c’est cela qui crée le manque : lorsque le temps de l’un permet l’action (décoffrage), le temps de l’autre est volé. »
Ces signes calcinés, comme les premières écritures, ne sont pas tracés sur, mais creusés dans leur support, auquel les unit un halo dû à l’huile de lin qu’absorbe le ciment. Imprégnation presque sensuelle, qui borde les noirs gras et fertiles, terres labourées, détrempées par l’orage, livrées au rythme saisonnier des naissances et des morts, au cycle naturel de ce que Miguel nomme « les pertes récursives et donc sécurisantes ». Mais ici l’entaille, la blessure, la « plaie noire » qu’est le signe n’évoque nulle continuité, nulle répétition, mais l’unicité et la solitude radicale de l’être que la différenciation sexuelle livre aux pouvoirs du désir, du langage et de la mort.
Il s’agit de l’excès et de la perte, de la paradoxale nécessité de bâtir sur le sable, d’œuvrer entre deux vides. Noirs dessinés par le feu, les alphabets miguéliens sembleraient n’inscrire que la rigueur de la loi, si l’évidement de ces pièces murales ne révélait la blancheur du mur qui les porte. Vient alors en mémoire la conception des kabbalistes, selon laquelle la Tora est écrite avec du feu noir sur du feu blanc. Les espaces blancs proviennent eux aussi des lettres, dont nous ne savons lire que le tracé noir. Lorsque le blanc d’entre les lettres nous sera révélé, la loi sera connue dans son aspect d’amour.
Jacques SIMONELLI
Miguel : « Evidant ». Atelier 49, 49, rue Clément-Bel, 06220 Vallauris. Tél. 04.92.38.01.71. Jusqu’au 21 décembre. .
Note : les citations de Miguel viennent de son texte « La construction est le résultat d’un retrait » publié dans le n° 6 de « Tôle ondulée », revue de l’Atelier 49. J’ai rédigé ma conclusion avant de lire ce texte, et l’allusion de Miguel au Tsimtsoum (contraction ou retrait) de la Kabbale (voir G.G. Scholem, « Les grands courants de la mystique juive », Payot, 1994).