Martin Miguel

"Epaisseurs"

éditions le Museur, 2002 (huit exemplaires)





Débords

 

 la ville absorbe désormais toute lumière et ses flancs ne sont que rives obèses en qui s’établissent les tarifs des passages clandestins

 

 récits de vin et de paresse et les gagneuses peuvent tout accepter de ces hommes poreux qui ont avancé vers elles se défaisant maintenant dans la frénésie du phare

 

 alors dis-toi ce cargo accroché aux rochers comme arapède de détresse et répète-toi la route faite

et sa faim spirituelle que l’on voudrait très opportunément passer sous silence

 

  le ventre est noir et râpeux qui s’est posé sur la plage il rogne et ingère les vitres tendues sur les bords du matin

 

ainsi saisi dans son déploiement le monde révèle des lignes qui se constituent en voies de fuite

 

 ce qui bruit va vers l’ampleur et trop de vie aller donc les pieds calcinés et faire de son pas un jeu maquillant la distribution de l’infini

 

 dans les égouts veines saignantes prennent forme des réponses qui relèvent de l’ordre comme de l’abandon la ville devient alors lieu de refus accueillant la nuit

 

cette ville est sale et je suis client attendant pourtant le vent de sable qui se fera voix de nouveau une mutilation de soi déployée comme élytres et antennes

la présence de troupeaux sous nos chairs installés

des signes de fange comme passes et brouillages et ces tournantes aussi qui disent la dérive

 

 une fenêtre s’est ouverte sur la nuit de mes entrailles il faut me pardonner si je continue de tuer ici et si je continue d’effacer le lieu

 

 car il est des douleurs qui nuisent au soleil et ne peuvent que marbrer le regard des êtres la noirceur de la suie a creusé les vertèbres et défini l’emplacement vacant

 

où donc aller

l’errance fait voir

et révèle aussi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Portiques

 

ainsi donc tu te reconnais d’emblée en ce paysage

corps souffrant dans la syncope

même des chemins pierreux

 

en ce sentier se fait le concassage de la lumière

une action que seule la transe

de la marche peut admettre

 

tu te heurtes enfin aux éclats d’une montée qui organise en confrontation le chaos du corps

 

il est des creux où les peaux indélicates s’arrachent

comme mauvais draps

y saille

en un flux de chaleurs une artère de vipères dénouées

 

l’apaisement s’établit dans la morsure dans les entailles faites au sol calcaire

 

 se dégageant de la congestion sanguine des toits

 cette première approche est finalement acceptable

 

bien que pris dans ce déferlement âcre qui peut conduire à la mer les pas se font convulsions

 

l’être ne retourne ici

que pivots douloureux les ronces tombent comme couronnes

soufflées dans les transparences du ciel

 

le verre est au sol tournant à l’aigre dans ces passages d’herbes sèches le vent se dépose comme un os en son lieu abouti

 

une brûlure installée sur la langue comme une marque identitaire

 

autour de soi ce qui pourrait être un paysage se conçoit comme bruissement de jupes déploiements en cours

 

car la lumière devient ébauche

lieu possible où se livrent

les ventres abandonnés des formes angéliques

 

et tu peux dès lors dans le balancement des couleurs arrachées percevoir l’intensité de l’instant

t’immiscer sous la lumière acceptée

l’aura sait reconstituer par ses traces les psaumes proposés

 

après la transe toutefois l’ange sera de nouveau à terre couvert par le bourdonnement des mouches

 

 

 

 

 

Quotidien

 

Le corps déhanché trouve

  donc refuge

 dans le détachement de la nuit

  acceptant de n’être plus

 que chair sombre et dure

 

les boutiques tardives

 ouvertes au plaisir comme bouches

 deviennent labyrinthes déformés conduisant

  vers quels organes

 

 dictées par l’insistance de la chair

 sous les paupières encloses

 s’opèrent la réinstallation des moiteurs

 et la répétition des jours

 

 le mouvement peut et pourquoi pas

 sourdre en flux d’énergie à définir

 

ou pas

 

 d’un œil crevé la vision surgit impérieuse

 comment dès lors dans le grincement de l’éclat trouverait sa place la culpabilité

 où donc le bruissement de l’être si ce n’est dans le passage

 et qu’advient-il des prières et des vins

 

 l’allégresse peut se formuler dans la pesanteur même des lumières fades

 le partage des tables comme l’arrogance participent de la scansion de l’absolu

 le mouvement pourrait être aussi bien chute de suie que montée de brume

 la lourdeur vécue faite corne de l’ange illumination sensuelle par une grâce donnée

 tu vois bien que se prolongent par dessus tout les accords de l’errance

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